29 décembre 2005

C'est long longtemps

J’ai l’impression que le temps s’est arrêté. Que la terre a cessé de tourner. Qu’il n’y a plus 24, mais 72 heures dans une même journée. C’est long. Pis c’est long longtemps.
Les courriels envoyés prennent une éternité avant de recevoir une réponse. Les appels téléphoniques lancés sont aussi longs à revenir qu’une demande de rendez-vous en chirurgie orthopédique.
La boîte de courriels est vide. La boîte vocale est vide. Le plateau de télécopie est vide. La salle de rédaction est vide.
Tout le monde est en vacances. Je suis toute seule. Snif.
Le rythme de vie effréné auquel je suis habituée a cédé sa place à une lente succession de moments qui me paraissent aussi longs que 14 épisodes de La Semaine verte en rafale.
Je n’ai pas à courir après le bus de Maxim le matin. Je n’ai pas besoin de courir à la garderie de Filou le soir. Je n’ai pas besoin de courir à l’épicerie, pour une entrevue, chez le médecin. Rien. Rien. Rien.
C’est long.
Pis c’est plate.
La semaine entre Noël et le jour de l’An, quand tu travailles, que les enfants sont chez leur père et que toute la terre entière est en vacances, c’est loooooong longtemps. Et c’est ça qui est complètement ridicule. C’est tout un paradoxe.
Quand je suis dans le jus, quand je dors quatre heures par nuit, quand je cours ici et là, que je jongle avec ma pelle et mon balai, que j’ai un 56 pages à produire, je rêve du jour où rien ne me pressera de faire le souper pour 17h30, où je pourrai lire jusqu’à ce que je fasse des plaies de divan, ou je n’aurai rien d’autre à faire que de répertorier les types de grains de poussières qui se logent sous mon frigo.
Mais l’affaire, c’est que lorsque ce moment arrive, je m’emmerde. Ça ne bouge pas assez pour maintenir mon cerveau dans un état satisfaisant d’activités. Je me lamente. Je me plains. Je tourne en rond. L’adrénaline des journées sans queue ni tête me manque. C’est pas mongole mon affaire, c’est pathétique.
Incapable de rester à rien faire.
J’écris cette chronique depuis une heure maintenant. J’ai revérifié la boîte vocale. Rien. J’ai revérifié la boîte de courriels. Niet. J’ai revérifié le plateau de télécopies. Nada. Je suis en train de penser que je suis victime d’une conspiration. Que plus personne ne veut m’écrire. Que plus aucun Sherbrookois ne veut me parler. Où êtes-vous ? C’est quoi l’idée de prendre des vacances en plein mois de décembre ?
J’ai hâte à la rentrée. Quand le monde recommencera à tourner. Quand le temps reprendra son rythme normal. Quand les journées auront huit heures plutôt que 24. Que j’oublierai de dîner parce que j’ai 42 articles à rendre. Que je sacrerai après l’école parce que Max a trop de devoirs à faire et que j’ai huit brassées de lavage qui attendent. Que je m’insulterai contre la garderie de fermer si tôt parce que le journal n’est pas terminé.
J’ai hâte de maudire ma boîte de courriels qui sera remplie de pourriels. Je suis impatiente de répondre à vos téléphones pour les anniversaires alors que j’ai mille autres choses à faire. Je suis pressée de faire le ménage dans les tonnes de télécopies qui m’attendront chaque matin.
Au moins, j’aurai l’impression de ne plus être seule.

La vie, la mort selon Julie-Anaé

Dans la vraie vie, je suis historienne. Du moins, c’est ce qui est inscrit sur mon relevé de prêts étudiants du ministère de l’Éducation. Un de mes dadas d’étudiante, un de mes sujets de recherche fétiche, c’était la mort. Je sais, ce n’est pas très jojo comme thématique, pour ne pas dire tabou. Mais ça me passionnait, rien n'était plus étranger ni plus noir que le coup fatal qui frappe chacun de nous, mais aussi rien n’était plus captivant pour moi.
Je me suis donc farci tout Philippe Ariès, l’Historien de la mort en Occident. Puis aussi Serge Gagnon qui s’est attardée à la chose au Québec pour tenter de comprendre comment nous avons vécu la mort au fil des décennies en sol québécois.
Et ce matin, avec la nouvelle qui est tombée sur Pierre-Hugues Boisvenu, j’ai eu besoin de me replonger dans mes livres, dans mes travaux. Pour tenter de comprendre. Pour chercher une parcelle de réconfort dans cette nouvelle tragédie qui frappe cette famille.
Mais rien.
Je n’ai rien trouvé de réconfortant.
Rien. Niet. Nada.
Pas une seule phrase n’a réussi à m’expliquer le drame des Boisvenu.
Tout ce que j’ai déniché, c’est que la mort s’est éloignée de nous. Avant, les gens mourraient à la maison, on les veillait au salon, on les enterrait au cimetière de la paroisse. Aujourd’hui, on meurt à l’hôpital, on reste à la morgue, on est exposé au salon et on est incinéré.
Pendant plus d'un millénaire, depuis le VIe siècle après Jésus-Christ jusqu'à la Renaissance, la mort ne faisait pas peur aux gens. Elle était l'un des grands moments de la vie. Aujourd’hui, on rejette la mort. On ne veut pas d’elle dans nos maisons.
Pour se sortir de sa peine, Pierre-Hugues Boisvenu a choisi de donner un sens à la mort de sa fille aînée, Julie. Grâce au combat qu’il a mené depuis trois ans, il a repris goût à la vie. En entrevue, l’an dernier alors que La Nouvelle le nommait Leadership 2004, il m’avait dit : « Dès le lendemain de la mort de Julie, ma conjointe Diane m’a dit qu’il fallait trouver un sens, une raison, une cause à ce drame. C’est une phrase que je n’ai jamais oubliée. Une phrase qui me fait avancer chaque jour. »
Nous sommes une quinzaine de représentants des médias dans la petite cuisine de Monsieur Boisvenu. Tous ont les yeux rouges, remplis de larmes. Personne ne parle. Après le point de presse, tous se mettent en file pour faire une accolade à cet homme au cœur grand comme ça qui ne méritait certes pas que le malheur frappe a nouveau chez lui.
En arrière-plan, on entend la petite Julie-Anaé qui babille. Du haut de son un an, elle ne mesure pas la grandeur du drame que vit son grand-père. Mais l’entendre jacasser de la sorte a quelque chose de réconfortant. Elle nous rappelle que la vie continue… tout simplement.
Je n’avais pas besoin de retourner dans mes bouquins. Seulement me rappeler la petite Julie-Anaé.

23 décembre 2005

Un téléphone chanceux

Vendredi matin, il est 7h. Tout le monde ronfle chez moi. Le téléphone sonne. C’est Sandra qui m’apprend que les écoles sont fermées et qui m’offre de prendre Maxim pour la journée. J’ai su à ce moment que ce serait une bonne journée.
J’ai fait la sourde oreille aux 875 cm de neige qu’on annonçait à la radio. Il n’était pas question de gâcher ma journée pour une simple question de pelletage de cour et de déblayage de voiture.
Par je ne sais pas quel miracle, les filles sautent du lit sans chigner, s’habillent sans chialer et mangent sans se lamenter. Je touche leur front, mais rien ne semble démontrer qu’une fièvre les a assaillies.
Je ne prends pas de chance. Je cours au dépanneur m’acheter un 6/49. Je le sens que je vais gagner. Tout va trop bien. En arrivant au bureau, je prendrai une minute pour regarder les offres de voyages dans le sud. Je veux être prête quand j’encaisserai mon lot.
Première assignation de la journée : la distribution des Paniers de l’espoir. J’aimerais bien me glaner une petite histoire touchante de Noël. Il y a beaucoup d’action dans l’édifice Céras. On pousse et on remplit des paniers d’épicerie, on emballe des victuailles. Les sourires côtoient l’entraide. Les adolescents se mêlent aux personnes âgées. Les frustrations, les insatisfactions et les mésententes ont été laissées sur le pas de la porte.
Et voilà, j’accoste Alice. Elle me raconte que sept membres de sa famille sont présents pour l’occasion. Ça y est. J’ai mon article. Mais quelle belle histoire !
La bonne humeur d’Alice m’a contaminée. En sortant de là, je suis énergisée. Tout le monde est beau, tout le monde est fin. Quel avant-midi ! Non seulement j’ai une belle histoire à raconter, mais la solidarité envers les plus démunis que démontrent ces gens m’a renversée.
En arrivant à la maison, la charrue est passée laissant au moins quatre mètres de neige dans l’entrée de ma cour. J’ai donc six heures de pelletage en vue. Je sens la déprime m’envahir alors que j’attrape ma pelle. C’est à ce moment que Joël sort avec sa souffleuse m’épargnant ainsi maux de dos et écoeurantite aiguë de l’hiver.
J’avais promis à Katia de garder ses filles en soirée pour qu’elle puisse aller à son souper de Noël de son travail. Quatre petites filles qui s’amusent dans un salon, ça défait un ménage dans le temps de le dire. Ken s’est retrouvé sur la télévision. Barbie au désespoir de voir son homme prendre la fuite courrait vers lui accrochant au passage quelques boules du sapin.
Pendant que la plus petite de ma copine renverse son verre de lait par terre, ma plus grande s’efforce d’étendre le plus de vêtements de poupée par terre. Le bordel ! Je panique à la seule pensée d’aller les coucher. J’en aurais pour au moins deux heures.
Ben non ! En moins de dix minutes, le salon était tout rangé et les filles ronflaient. Vraiment la chance était de mon côté.
En soirée, je vérifie les numéros gagnants de la 6/49 sur Internet. J’ai gagné ! Pas 10 millions $, mais 10$. Mais je pourrai entendre la valideuse chanter.
Vraiment, je savais que ce serait une bonne journée. En espérant que Sandra me rappelle demain matin.

13 décembre 2005

Sale menteur!

Il m’avait promis qu’il reviendrait dans sept ans. Pas avant. J’ai été patiente. Plus que patiente même. Mais j’attends depuis onze ans maintenant et toujours aucune lueur d’espoir de voir son avion atterrir en sol québécois dans les prochains mois, voire les prochaines années. Snif. David Gilmour, un sale menteur ?
La semaine dernière, quand ma copine Véro m’a offert un billet pour aller au spectacle de The Australian Pink Floyd Show, elle n’avait aucune idée du cadeau qu’elle pouvait me faire. Enfin, je mettrais un baume sur ma plaie ouverte de ne pas avoir revu Pink Floyd en show depuis 1994.
***
Le 21 février 1994. Je dors à la belle étoile ce soir. Je sais bien que la saison de camping est terminée depuis quelque temps déjà, mais coûte que coûte, je coucherai devant le Archambault, qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il fasse -89, qu’il fasse tous les temps. Demain, je repartirai avec un de ces billets. Ne tentez pas de me convaincre du contraire. Je suis très tête de cochon à mes heures.
Pink Floyd est mon groupe. Le mien depuis plusieurs années. En fait, depuis que j’ai acheté la cassette avec tout plein de lits dessus (A momentary lapse of reason). Depuis, je ne jure que par cette troupe irlandaise un peu mythique et dont la popularité est loin de vouloir s’effondrer avec les années.
Bref Pink Floyd sera de passage au Stade olympique pour un seul soir en mai prochain. Et je tiens mordicus à être des 60 000 fans qui s’entasseront au stade afin d’entendre ce groupe. Il était hors de question que je rate le plus gros happening rock sur terre. Que non !
La nuit s’est bien déroulée. À l’ouverture des guichets à 9h, c’est la folie, la frénésie. On se croise les doigts. Mais voilà, à trois personnes avant mon tour, on annonce que le show est « sold out ». Ça y est. J’ai le cœur brisé. Je suis inconsolable.
Des plus chanceux que moi m’offrent de leurs miteux billets, situés derrière la scène, au niveau 400, pour la modique somme de 100$. Des places à chier quoi. Je réfléchis à l’offre. Je la considère. L’important, c’est juste d’être dans cet amphithéâtre. Je veux vivre ça. Point. Je flanche donc…
Quand tout à coup, un employé du Archambault sort pour nous informer qu’une supplémentaire vient d’être annoncée ! Et moi qui est la troisième en ligne ! Imaginez mes places !
Comme des millions de fans de ma génération, j’ai repéré le courant d'énergie de Pink Floyd, je m'y suis branchée et je m’y alimenterai au printemps au Stade olympique. Je suis la fille la plus heureuse du monde.
Sonorisation quadriphonique, effets spéciaux, lasers inédits, immense arche sous laquelle le groupe se produira ce soir, technologies conçues spécialement pour le méga-groupe. Un show à la hauteur de sa réputation. Je suis comblée.
***
Onze ans plus tard, voilà qu’un groupe hommage débarque du bout du monde pour me faire revivre toute cette frénésie. Les Australians s'avèrent de savants copieurs. Ils reproduisent fidèlement et avec vigueur chaque note de chaque chanson, trop fidèlement peut-être. Le spectacle monté avec une précision chirurgicale gagne en justesse, mais perd en chaleur et en émotion.
Tout y était. Les horloges de Times, les caisses-enregistreuses de Money, les cloches de High Hopes, l’interminable Shine on you crazy diamond, les enfants de Another brick in the wall. Tout était pareil.
Il ne manquait qu’une chose. David Gilmour.

05 décembre 2005

Ma lettre au Père Noël

Cher Père Noël,
J’ai le sourire fendu jusqu’aux oreilles depuis quelques temps. Je respire la joie. Je transcende le bonheur.
Mais là, Monsieur le barbu, j’ai la chienne. J’ai peur. J’ai la trouille. Et c’est un peu pour ça que je vous écris. J’espère qu’une de vos oreilles sera sensible à mes doléances. Que vous penserez à moi, dans cette nuit du 24 au 25 décembre.
Voilà. Ça va bien. Trop bien même. Et je sens la menace qui plane au dessus de moi. Ça sent mauvais et ça m’inquiète. Ne dit-on pas « après la pluie, le beau temps » ? Mais l’inverse se peut-il aussi ?
Parce que tout va bien dans ma vie. Quand on dit tout, c’est vraiment tout. J’ai un bon travail qui me passionne. Mon patron semble satisfait de mon boulot. Je ne manque pas de sous. Le frigo est plein.
Mes enfants sont des merveilles. Aucun rhume, aucune gastro, aucune otite n’est venue les assaillir encore. Maxim réussit super bien à l’école. Félixe est un ange à la garderie.
Et la jubilation suprême ; je n’ai pas pelleté encore cette année.
Ma peine d’amour est classée au dossier des archives. Aucune menace de maladie chez mes proches. La mort ne rôde pas au-dessus de ma famille. Même en plein mois de décembre, le soleil brille à l’extérieur. C’est vous dire.
Je cherche et je ne trouve rien qui ne va pas. Tout va bien. TOUT.
Mais ce bien-être a un drôle de côté. Une façade à laquelle je ne m’attendais pas. L’appréhension que tout change.
Je deviens donc parano. Inquiète. Anxieuse. J’ai peur de voir débarquer les mauvaises nouvelles chez moi. Je crains que le vent tourne m’apportant un lot de situations exécrables. Je n’ai pas envie de vivre avec une boule d’angoisse dans la gorge. Les maux de ventre, les migraines, les pleurs, puis-je laisser ça à quelqu’un d’autre s.v.p. ?
Je redoute un appel du prof de Maxim me disant qu’elle a cassé une fenêtre de sa classe. J’ai peur de voir un visage connu dans la chronique nécrologique de La Tribune. Je tremble à l’idée d’apprendre qu’une grave maladie s’est abattue sur ma grand-mère. Et s’il tombait 50 cm de neige à chaque jour d’ici le mois d’avril ?
Je vois un chat noir ? Ça y est, je verrai une pluie de malheurs s’abattre sur moi. Je n’ose plus ouvrir un parapluie à l’intérieur, je ne veux pas attirer le bide sur moi. Si par mégarde, je dépose le pied gauche par terre en me levant le matin, je me signe trois fois, je me recouche, puis je me relève du pied droit. On n’est jamais trop prudent.
J’échappe du sel de la salière ? Pour conjurer le sort, je jette une pincée de sel par-dessus mon épaule gauche. J’ai également décidé de biffer tous les vendredis 13 du calendrier. Ne sait-on jamais.
Dites-moi, Père Noël, est-ce possible de m’accorder du répit un peu ? De pouvoir savourer ces moments de tranquillité d’esprit. De vivre pleinement ce bonheur ?