20 novembre 2008

Nous sommes moins seuls que nous pouvons le croire

C’est vraiment poche quand on y pense.
C’était là tout près. Mais mes yeux étaient fermés. Complètement bouchés. Je ne voyais rien. Du tout.
Même problème avec mes oreilles. Elles n’entendaient rien. Sweet nothing.
Je ne le savais pas. J’étais inculte dans ce domaine. Pourtant, c’était tout près. Tout juste à mes côtés.
Il y a tout d’abord eu le téléphone qui n’a pas dérougi pendant plusieurs jours. Tant à la maison que sur mon cellulaire.
Ma boîte de courriels qui a explosé. Postes Canada m’a octroyé une deuxième boîte postale tant la mienne était pleine.
On a tellement cogné sur la porte de ma maison qu’elle est renfoncée.
Puis, j’ai vu clair et j’ai entendu. Ma cornée a fait son boulot. Mes tympans également. Il était temps. J’aurais pu passer à côté de quelque chose de merveilleux. De fabuleux.
Et ça aurait été dommage. Vraiment dommage que je ne vois pas tout ce qu’il y avait autour de moi. Et qui est probablement aussi autour de vous.
Il y a eu Dany qui a tout plaqué pour s’occuper de mes loulous et ainsi me donner un petit répit. Il y a eu aussi Lalie qui s’est transformée en chauffeuse parce que je ne savais plus faire la différence entre l’embrayage, l’accélérateur et le frein. Maryse qui m’a fait un super souper parce que je ne voyais que le McDo comme solution aux casse-tête des repas qui revenaient beaucoup trop rapidement.
Je pense à Souzika qui a eu une patience d’ange en tentant de me trouver quelque chose à me mettre sur le dos pour les funérailles. Il y aussi eu Manon qui m’a fait un bon deal sur des vêtements.
Mélanie, Fanny et Stéphanie qui sont venues me voir pour m’offrir un shopping-o-thérapie. Ma cousine Karine, qui à 6000 km, a pensé à nous en nous envoyant le plus beau bouquet de soleils du monde. Patrick et Erik qui se sont tapé 300 kilomètres simplement pour me serrer dans leurs bras.
Mes collègues de travail qui nous enverront, mes filles et moi, passer une journée de dorlotage au spa. Mélissa qui a envoyé une cargaison de livres à mes poulettes.
Les profs qui ont fait livrer de magnifiques oursons en peluche à leurs petites élèves éprouvées. Mon patron qui a été d’un support incroyable. Mes parents qui ont toujours une épaule prête pour accueillir mes larmes.
Sandra qui appelle tous les jours pour prendre des nouvelles. Bert et Danielle qui partagent mon incompréhension. Nathalie qui comprend plus que personne le vide qui s’est installé en moi. Pis la patience d’ange de Mathieu.
Et il y a vous aussi. Vous êtes des dizaines à m’avoir écrit. Vous êtes des dizaines à m’avoir donné votre support. Vous êtes des dizaines à m’avoir dit que j’étais capable. Que j’étais forte.
Il a fallu qu’un drame se pointe sur ma route pour que je me rende compte à quel point je n’étais pas seule. C’est poche pareil quand on y pense.

13 novembre 2008

La vérité sort de la bouche des enfants

J’ai 32 ans et zéro expérience.
J’ai 32 ans et pas une goutte de savoir-faire dans ce domaine.
J’ai 32 ans et je dois admettre que je fais dur devant cette situation.
Pourtant, j’ai l’âge de raison depuis un bail. J’ai fait mes dents comme adulte. J’ai vécu mon lot d’expériences.
J’ai mon opinion sur plein de trucs. Je sais plein de choses. Je peux m’inviter dans n’importe quelle conversation et avoir quelque chose à dire.
Mais là je suis bouche-bée. Pour ne pas dire complètement bouchée. Je suis muette. Sciée. Incapable de dire un seul mot.
Ma langue refuse de se mettre en mouvement. Mes lèvres sont cousues. Mes cordes vocales sont parties en vacances.
Pire encore, mon cerveau ne fonctionne pas. Quelqu’un l’a mis à off et je ne retrouve pas la switch pour le repartir.
Je n’ai pas vécu de sommeil paradoxal depuis plus de deux semaines. J’ai épuisé mes réserves de cache-cernes. J’ai le nez tout rouge en raison de l’utilisation abusive de mouchoirs.
Je tremble. J’ai la gorge serrée. J’ai le cœur pris dans un étau. J’ai froid. Je flotte dans mes jeans.
Je pense tout le temps. Il y a 100 questions à la minute que je me pose. Je me réveille la nuit et je me demande ci. Je me couche le soir et je me demande ça. Je me lève le matin et je me demande encore ci. Je suis un jeu questionnaire ambulant. Malheureusement, aucun choix de réponse.
Rien. Niet. Nada.
Je vis un deuil. Un vrai. Un solide. Un qui vous envoie sur la planète mystère et boule de gomme. Un qui vous empêche de fonctionner normalement. Un qui vous colle au derrière. Un qui ne va jamais prendre son Bovril question de vous laisser deux minutes de répit.
Il est là, tout le temps. A déménagé dans ma tête, dans mon cœur, dans ma gorge. Il vit dans la poche arrière de mon jean trop grand désormais. Il est dans mon lit, sur mon écran d’ordinateur. Partout où je pose les yeux, il est là. Pas moyen de m’en défaire.
« Mais les enfants Geneviève, comment vont les enfants? »
Filou joue avec Lili Bunny. Elle lui raconte des histoires abracadabrantes. Ma puce rit aux éclats en voyant sa petite lapine réintégrer sa cage parce qu’elle est effrayée par le chien. « Regarde maman, Gucci a fait peur à Lili! »
Maxim jase sur MSN avec ses amies. En même temps, elle se construit un blogue où elle parle de tendances vestimentaires de la saison et de ses groupes de musique préférés. Il y a Louis-José Houde à la télé. Je l’entends rire de ses idioties.
« Maman, est-ce que le souper est bientôt prêt? J’ai super faim! » qu’elle me crie. Filou l’a rejointe dans sa requête. « Oh moi aussi j’ai faim maman. Est-ce qu’on peut manger du spaghetti? »
Je les regarde de la tête aux pieds. Je les examine sous toutes leurs coutures. Pas de perte de poids. Pas de rougeurs au nez. Pas de yeux remplis d’eau salée.
Ce que je vois? Des yeux pétillants. Des joues roses. Des sourires éclatants. Des dos droits.
Une envie de profiter de la vie. Une grande volonté de regarder vers demain. Un désir de ne pas se laisser abattre.
À sept et dix ans, mes puces ont compris que ça ne servait à rien d’arrêter de vivre. Que des oreillers mouillés de larmes, ça ne ramenait pas un papa. Que d’arrêter de rire n’allait pas leur permettre de serrer leur père à nouveau dans leurs bras. Que même s’il ne pourra plus jamais signer les dictées de Maxim, il sera toujours fier des résultats de sa gringalette hawaïenne. Que même s’il ne pourra plus aider Filou à lacer ses chaussures, il sera toujours de bons conseils pour sa crapounette.
À sept et dix ans, mes puces ont compris des choses que je n’avais pas comprises encore à 32…

04 novembre 2008

Le paradis des papas

Dans notre cour d’école, Annie nous intriguait. C’est que la copine n’avait plus de papa. Il était au paradis. Pour nous, c’était un concept bien abstrait, la plupart d’entre nous n’avions jamais côtoyé la mort de près.
Pour nous, l’absence d’une figure paternelle signifiait, sans aucun doute, qu’Annie pleurait tous les soirs, qu’elle parlait aux étoiles, que tous ses Noëls et tous ses anniversaires étaient fêtés entre larmes et tristesse.
Pourtant, Annie était tout sauf triste. Elle affichait sourire et joie de vivre. Mais c’était impensable pour nous que notre amie soit heureuse sans papa qui soupait avec elle chaque soir.
Quand j’allais jouer chez elle, je me sentais toujours étrange. J’avais toujours peur de surprendre sa mère en pleine crise de larmes dans sa chambre à coucher ou encore au désespoir alors qu’elle coupait les carottes du souper. Parce que pour moi, un papa en moins dans une maisonnée signifiait malheur à jamais, désespoir, problème à l’adolescence, crise d’identité, et quoi encore?
Je suis restée longtemps avec cette impression. Avec ces peurs. Ces craintes. Hantise que ça arrive chez moi.
Malheureusement, la petite Annie de mon école primaire est devenue Maxim et Félixe.
Mardi dernier, le papa de mes poulettes s’est envolé vers le paradis des papas. Une virulente pneumonie a emporté Ian dans l’au-delà sans que lui-même ne s’en rende compte.
En quatre jours, mes filles ont plus grandi que n’importe quel autre enfant en quatre ans. En quatre jours, elles ont appris la signification de mots difficiles comme: soins intensifs, saturation, choc sceptique, pression artérielle… En quatre jours, elles sont passées de l’espoir au désespoir. En quatre jours, elles ont appris que la vie ne tenait qu’à un fil, un si petit fil.
À compter du mois prochain, mes cocottes empocheront une prestation d’orpheline. À partir de la semaine prochaine, mes poulettes devront s’habituer à ne pas aller passer le week-end chez papa. Dès maintenant, mes puces devront conjuguer leur père à l’imparfait et au passé composé. Demain, mes filles ne verront leur père qu’en photo…
Probablement que dimanche, ç’a été le pire jour de la courte vie de Maxim et Félixe. Dimanche, elles ont réalisé que papa n’appellerait plus pour souhaiter bonne nuit. Dimanche, elles ont dû dire au revoir à l’une des deux personnes qui leur est le plus chère.
Frustration, sentiment d’injustice, impuissance, tristesse, peur, colère, questionnements se bousculent dans ma tête depuis ce jour où le téléphone a sonné. Un simple coup de fil qui a changé de nombreuses vies à jamais.
Quels seront les impacts? Seront-elles les petites filles éplorées comme j’imaginais Annie? Riront-elles à nouveau? Couleront-elles leur année scolaire? Passeront-elles leurs nuits à sangloter dans leur oreiller? Comment se sortiront-elles de cette terrible épreuve?
Dites-moi. Rassurez-moi.
Je veux que la vie soit douce avec mes poulettes. Je veux tellement le meilleur pour elle alors que le pire leur est arrivé.
Alors Ian, de ton nouveau chez-toi, au paradis des papas, veille sur ta vieille crapule et sur ta crapounette. Elles en auront bien besoin. Mes câlins, mon amour et mes sourires ne suffiront probablement pas.P.-S. Merci de m’avoir donné ce que j’ai de plus beau dans ma vie. Pour toujours, je t’en serai reconnaissante.