J’étais en première secondaire la première fois que j’ai pris la plume pour écrire une lettre d’opinion destinée à mon journal local. Du haut de mes 13 ans bien sonnés, je pensais détenir la vérité. J’étais persuadée que j’avais des arguments de béton et que suite à la publication de ma lettre, plus personne n’irait cogner à la porte d’une clinique d’avortement. Je voulais que toutes ces femmes, que je croyais insouciantes, prennent leurs responsabilités et qu’elles assument leurs actes.
C’était l’été de la saga Chantal Daigle-Jean-Guy Tremblay.
Tremblay avait fait la manchette des journaux, en 1989, lorsqu'il s'était rendu jusqu'en Cour suprême pour tenter d'empêcher sa compagne d'alors, Chantal Daigle, de subir un avortement. Lors de son témoignage, Mme Daigle avait soutenu que Tremblay avait été violent et possessif.
Mais moi, dans ma petite tête d’adolescente, j’étais convaincue de savoir ce qui était bon pour les autres. J’avais lu sur la question. Je m’étais renseignée. C’était très clair dans ma tête : un avortement, c’était tout simplement un crime. Chantal Daigle voulait commettre un meurtre et voulait être cautionnée par la Cour suprême du pays. Nous devions nous ranger de son côté et accepter l’horrible fin qu’attendait son petit bébé.
À mon grand désarroi, ma lettre n’a pas été publiée. À mon avis, le rédacteur en chef de l’époque était dans le champ de patates pour refuser de mettre mon opinion en page du courrier des lecteurs. Je criais à l’injustice. Il y avait une vie en jeu!
Les années ont passé. Le temps a fait son œuvre. Et j’ai compris.
J’ai compris l’importance du droit à l’avortement libre et gratuit. Aujourd’hui, 20 ans après la décriminalisation de l’avortement au Canada, mon fusil a changé d’épaule. Après avoir mis au monde deux enfants, mais surtout après avoir goûté aux joies (et aux difficultés!) de les élever, je ne pense plus du tout pareil.
Quand je vois à la télé ou dans les journaux des images de faux cimetières remplis d’enfants non-nés, je suis insultée. Quand je vois les provie manifester avec leurs grandes affiches avec des images de fœtus avortés, ma colère grimpe.
En fait, une foule de questions me viennent à l’esprit : Qui êtes-vous pour vous incrustez dans nos vies privées? Quels droits vous sont donnés de nous dire ce qui est bon ou non pour nous? Pour qui vous prenez-vous pour juger ainsi nos décisions?
On ne peut pas être pour ou contre l’avortement collectivement. C’est une question hautement personnelle. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises raisons de subir cette intervention chirurgicale. Toute est une question de situation. Par exemple, pour nous, se faire avorter parce que le sexe du bébé ne convient pas ne nous rentre pas dans la tête. Mais pour une famille chinoise, qui n'aura qu'un seul bébé dans toute sa vie et pour qui avoir une fille représente bien des tracas, je peux comprendre.
Et on ne peut pas interdire l’avortement aux femmes qui avortent comme elles changent de chemise sous prétexte que ce n’est pas un moyen de contraception. Encore ici, c’est une question de perspective. Si une femme collectionne les avortements, c’est peut-être mieux qu’elle ne mette pas ces enfants au monde, question de ne pas aller grossir la banque de 60 000 enfants signalés chaque année à la DPJ…
Je ne sais pas s’il est trop tard. Mais près de 15 ans après avoir signé cette lettre, j’offre mes plus profondes excuses à Chantal Daigle. Désolé d’avoir porté un jugement sur votre situation bien personnelle qui ne me regardait pas, mais pas du tout.
Parce que tout ceci ne concerne qu’une seule personne et c’est celle qui doit prendre cette décision. Personne d’autre. Et surtout pas les provie.
29 janvier 2008
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