23 octobre 2008

Moi je le sais. Pas toi.

« Moi je le sais. Pas toi. »
On pourrait facilement croire que cette phrase provient tout droit du fond d’une cour de récré d’école primaire de votre quartier. Que c’est une petite fille de huit ans qui cherche à mettre le trouble dans sa relation d’amitié avec sa copine. Ou que c’est plutôt ce pense-bon qui se vante à tout le monde qu’il connaît le nom de toutes les constellations de l’univers.
Pourtant, ce n’était nullement le cas.
Cette conversation a eu lieu dans un bar du centre-ville où la moyenne d’âge dépasse les 40 ans. Où la quantité de têtes blanches présentes fait penser que les discussions sont plus approfondies et intéressantes que ce qu’on peut trouver sur un terrain de ballon prisonnier.
C’est Marie-Claude qui m’a garoché ça. De même. Sans avoir rien demandé.
Je n’avais rien vu venir. On jasait de la pluie pis du beau temps. De son nouveau copain. Du fait qu’elle soit capable de monter le mont Orford en courant en moins de 30 minutes. Vous voyez le genre de banalités?
« Mais comment tu fais Marie pour réussir à tout concilier? On a à peu près le même beat de travail, on est toutes les deux monoparentales, veux-tu bien me dire où tu trouves le temps pour t’entraîner de la sorte? »
Elle est partie à rire. Pis elle me lance : « J’ai la sclérose en plaques Gen. On m’a diagnostiquée l’été dernier. »
J’ai pris le temps de ramasser mes dents par terre. De raccrocher ma mâchoire. De remettre mes esprits en place. De boire une grande gorgée de bière. Tout ça dans le but évident de trouver quelque chose d’intelligent à lui répondre.
Marie-Claude a probablement senti ma détresse. « Je suis nulle pour le dire, mais je pense qu’il n’y a pas de bonne façon d’apprendre ma maladie de toute façon. »
Ouais elle n’a pas tort. Je suis toujours sous le choc. Les yeux plein d’eau. La tête pleine d’images. La grand-mère de mes filles a la sclérose en plaques. Je sais c’est quoi cette foutue maladie. Je sais ce qu’elle fait. Ce qu’elle détruit. On la pense nonchalante, elle traîne en longueur puis un moment donné, la main droite ne ferme plus, le pied gauche n’avance plus, la vision baisse, les intestins cessent de coopérer.
Pas possible que Marie-Claude ait les mots sclérose en plaques inscrits à son dossier médical. Pétillante, pleine de vie, toujours un immense sourire dans le visage, remplie de mille et un projets, impossible pour moi d’imaginer la copine dans son fauteuil roulant écoutant les Feux de l’amour en boucle.
« Arrête de t’en faire Gen, me dit-elle. Ça va. J’ai accepté ma maladie. Et ça fait que moi je le sais et pas toi. »
Hein?
« Oui, moi quand je vais courir au mont Orford, je sais que je suis chanceuse de pouvoir le faire. Quand je serre ma fille dans mes bras, j’en profite parce que peut-être qu’un jour je ne serai plus capable de le faire. Toi, quand tu te lèves le matin, qu’il fasse soleil ou non, que tu sois en forme ou non, tu t’en fiches, parce que tu ne sais pas ce qui peut t’arriver. Moi je le sais. Je le sais que je dois profiter de chaque petit instant qui passe. De chaque petite chose que je suis capable de faire. »
En moins de deux minutes, la copine aura éjecté à nouveau mes dents de mon dentier. Aura encore décroché ma mâchoire. Et je n’aurai jamais bu un 20 onces de bière aussi rapidement.
Mais jamais une blonde n’aura eu si bon goût.

1 commentaire:

Anonyme a dit...

quelle pêche!
moi aussi je sais.....