23 octobre 2008

Plus vert chez le voisin

Ça m’angoissait un brin de voir débarquer une Française entre les quatre murs de mon bureau. Parce qu’Anne a gagné un stage de deux semaines dans notre hebdo. Bon, égoïstement je dirais qu’une paire de bras de plus pour faire le journal, ce n’est jamais de refus. Mais au-delà du boulot qu’elle accomplira, il faudra bien l’occuper les soirs venus. Il n’était quand même pas question de lui faire écouter Virginie et de la mettre au lit à l’heure où elle soupe habituellement.
J’étais un brin gênée lorsque je pensais aux trucs touristiques sherbrookois. Parce que si on compare la Tour Eiffel au cénotaphe de la côte King, il y a de quoi regarder ses souliers. Que même si nous en sommes fiers, le Musée de la nature et des sciences est loin d’être aussi impressionnant que le Louvre. Que même si elle est très belle, la cathédrale Saint-Michel émeut un peu moins que Notre-Dame de Paris. Le Carrefour de l’Estrie fait bien mon affaire pour mes emplettes, mais que dire des Galeries Lafayette?
Je me voyais mal lui faire faire le tour du cimetière Saint-Michel alors que celui du Père-Lachaise est si bouleversant. Comment trouverait-elle une balade en kayak sur la Magog alors qu’une randonnée en bateau-mouche sur la Seine peut être tellement romantique?
Ici, il n’y a pas de Versailles, d’Arc de Triomphe, de Champs Élysée. Pas de repères d’artistes comme à Montmartre. Pas d’arrêts obligatoires comme le Moulin Rouge, le Mont Saint-Michel, les catacombes.
Intimidant de la nourrir aussi. Si la France ne possédait qu’une seule qualité, ce serait bien sa gastronomie si riche. Comment nos restos pourront rivaliser contre les Maxim’s, Pierre Gagnaire, Le Meurice? Comment réagira-t-elle devant notre pâté chinois, notre macaroni et notre tourtière?
Inquiète, angoissée, je l’étais. Deux semaines, ça peut être tellement long. J’ai donc fait l’autruche et je me suis caché la tête dans le sable. Si elle avait voulu venir ici, tant pis pour elle.
Le premier soir, on lui a fait connaître nos deux sports nationaux : le hockey et le lever du coude. Direction Cage aux sports où nous étions une dizaine à explique à Anne les rudiments du hockey et l’importance de la bière dans de telles soirées. Du coup, elle s’est acheté un chandail du Canadien et a demandé à plusieurs reprises quand était le prochain match.
Le lendemain, elle a goûté aux couleurs flamboyantes de l’automne à Orford. Depuis, je crois qu’elle a aimé parce qu’elle en parle tous les jours. Et elle compte fait agrandir plusieurs photos en 16 X 20 pour décorer tous les murs de son appart.
C’est avec appétit qu’elle a découvert la poutine, les hot dog steamés et la Root Beer du Louis. C’est avec grand intérêt qu’elle a lunché à la Taverne Alexandre où elle s’est tapé un smoked meat et une paire de sept. Elle songe d’ailleurs à ouvrir une franchise de Louis dans son patelin…
La tournée des murales l’a grandement impressionnée. Elle s’est même fait photographier aux côtés de Garou!
Il n’était quand même pas question de la laisser partir sans lui faire découvrir le centre-ville. On a commencé par la gaver de délicieux chocolats de chez Choco-là. On lui a fait découvrir nos artistes locaux à la Corporation des métiers d’arts. On s’est promenés rue Wellington et ses yeux ne savaient plus trop où regarder.
On l’a initiée à la folie du foot universitaire. À un souper à la brasserie. À une virée dans les bars. On l’a fait marcher sur la promenade du Lac-des-Nations. On l’a instruite sur l’histoire de la Paton, sur nos avancées environnementales, nos potins sherbrookois.
Et là, on manque de temps. La copine repart demain et nous avons manqué le 5 à 7 au Caffu, un lunch chez Auguste, un après-midi aux pommes, une randonnée au bois Beckett, au mont Bellevue…
Dis Anne, tu reviens quand?

Nostalgique marmite

Certains sont tombés dans une marmite remplie de hockey quand ils étaient petits. Les week-ends, ils les passaient à geler l’aréna à tenter de ne pas tomber en bas de leurs petites lames. Pour d’autres, leur chaudron d’Obélix était rempli de soccer, de cours de piano, de religion peut-être.
La mienne? Plein à ras bord de politique. Me suis intéressée très tôt à nos leaders gouvernementaux. Pas le choix, avec une mère adjointe de député, un père directeur de campagne électorale, une ex-belle-mère candidate au provincial, un ami attaché politique, des grands-parents bénévoles aux élections, une tante et un oncle employés d’Élections Canada. J’arrête, la liste pourrait être longue et vous avez le souper à préparer. J’abrège donc.
Me suis donc impliquée et impliquée encore dans de multiples campagnes électorales. J’ai été la fatigante qui appelait le soir chez vous pour savoir pour qui vous voterez. J’ai tenté de ne pas me péter la gueule en posant des pancartes sur les poteaux de téléphone. J’ai rempli les pages de l’agenda d’un candidat de poignées de mains et de débats animés. J’ai fait du porte à porte avec un autre. J’ai distribué des dépliants à des automobilistes au coin d’une rue. J’ai entré des données sur un ordi. Bref, vous saisissez.
Ce n’était pas tant la cause que le trip de travailler ensemble dans un même but qui m’animait. L’idée de se sentir dans la gang. De se retrouver ensemble et d’espérer avoir fait le maximum pour voir notre candidat arriver premier au fil d’arrivée.
On a, quelques fois, pleuré de déception. Souvent, on a crié notre joie de voir l’un des notres prendre le chemin du gouvernement. Mais peu importe l’issue du vote, nous avions tissé des liens solides, forts. Passer 35 jours ensemble, de 8h le matin à très tard le soir, ça soude une équipe. Rien de mieux qu’une campagne électorale pour se magasiner des amis.
Depuis que je gagne ma vie en écrivant dans un journal, j’ai dû laisser tomber ce pan de ma vie, impartialité journalistique oblige.
Ce matin, avec toute la fébrilité entourant l’élection d’aujourd’hui, me suis sentie nostalgique. J’aurai eu le goût d’aller prêter main forte à une équipe. Peu importe laquelle. Juste pour le fun de vivre un jour J à nouveau.
J’ai prétexté le sujet d’une chronique pour me pointer dans un local électoral. Moi qui avais toujours vu tout de l’intérieur, je regardais ces abeilles bosser dans cette ruche avec détachement. Et j’étais béate d’admiration.
Ils étaient une vingtaine. En plus d’une dizaine de chauffeurs qui offraient du transport aux électeurs, des téléphonistes répartis dans les huit maisons différentes, des releveurs de liste, des conseillers juridiques, des préposés à l’informatique, etc. Ils sont 175 en tout sur le terrain aujourd’hui.
Ce sont 175 personnes qui auront skippé l’école, auront pris off du bureau, auront sacrifié une journée de congé pour bosser bénévolement pour ce candidat. « Faut y croire en maudit! », me disait le grand patron de cette équipe. Impressionnant non?
La dernière nuit a été difficile pour plusieurs. « J’étais un peu nerveuse, alors j’ai pris quelque chose pour dormir. Je n’arrivais pas à fermer l’œil », me racontait la dame de l’accueil en riant. Mais il était hors de question pour elle d’être ailleurs qu’ici aujourd’hui. « Je suis ici par conviction. Pour gagner. Nous sommes une belle gang. Tout le monde est de bonne humeur. C’est quelque chose que de travailler pour une campagne électorale! »
Et ils reviennent. La politique, c’est une drogue. L’exemple de ce monsieur est éloquent : « Depuis 1970, je n’ai pas raté une seule élection ou référendum tant au fédéral, au provincial et au municipal… »
Malgré tout ce boulot abattu, ils seront quatre équipes ce soir à retourner à la maison le cœur gros parce que la population aura décidé que leur candidat n’était pas le bon.
Mais ils n’auront pas perdu leurs élections. Ils auront gagné des amis pour la vie.

Moi je le sais. Pas toi.

« Moi je le sais. Pas toi. »
On pourrait facilement croire que cette phrase provient tout droit du fond d’une cour de récré d’école primaire de votre quartier. Que c’est une petite fille de huit ans qui cherche à mettre le trouble dans sa relation d’amitié avec sa copine. Ou que c’est plutôt ce pense-bon qui se vante à tout le monde qu’il connaît le nom de toutes les constellations de l’univers.
Pourtant, ce n’était nullement le cas.
Cette conversation a eu lieu dans un bar du centre-ville où la moyenne d’âge dépasse les 40 ans. Où la quantité de têtes blanches présentes fait penser que les discussions sont plus approfondies et intéressantes que ce qu’on peut trouver sur un terrain de ballon prisonnier.
C’est Marie-Claude qui m’a garoché ça. De même. Sans avoir rien demandé.
Je n’avais rien vu venir. On jasait de la pluie pis du beau temps. De son nouveau copain. Du fait qu’elle soit capable de monter le mont Orford en courant en moins de 30 minutes. Vous voyez le genre de banalités?
« Mais comment tu fais Marie pour réussir à tout concilier? On a à peu près le même beat de travail, on est toutes les deux monoparentales, veux-tu bien me dire où tu trouves le temps pour t’entraîner de la sorte? »
Elle est partie à rire. Pis elle me lance : « J’ai la sclérose en plaques Gen. On m’a diagnostiquée l’été dernier. »
J’ai pris le temps de ramasser mes dents par terre. De raccrocher ma mâchoire. De remettre mes esprits en place. De boire une grande gorgée de bière. Tout ça dans le but évident de trouver quelque chose d’intelligent à lui répondre.
Marie-Claude a probablement senti ma détresse. « Je suis nulle pour le dire, mais je pense qu’il n’y a pas de bonne façon d’apprendre ma maladie de toute façon. »
Ouais elle n’a pas tort. Je suis toujours sous le choc. Les yeux plein d’eau. La tête pleine d’images. La grand-mère de mes filles a la sclérose en plaques. Je sais c’est quoi cette foutue maladie. Je sais ce qu’elle fait. Ce qu’elle détruit. On la pense nonchalante, elle traîne en longueur puis un moment donné, la main droite ne ferme plus, le pied gauche n’avance plus, la vision baisse, les intestins cessent de coopérer.
Pas possible que Marie-Claude ait les mots sclérose en plaques inscrits à son dossier médical. Pétillante, pleine de vie, toujours un immense sourire dans le visage, remplie de mille et un projets, impossible pour moi d’imaginer la copine dans son fauteuil roulant écoutant les Feux de l’amour en boucle.
« Arrête de t’en faire Gen, me dit-elle. Ça va. J’ai accepté ma maladie. Et ça fait que moi je le sais et pas toi. »
Hein?
« Oui, moi quand je vais courir au mont Orford, je sais que je suis chanceuse de pouvoir le faire. Quand je serre ma fille dans mes bras, j’en profite parce que peut-être qu’un jour je ne serai plus capable de le faire. Toi, quand tu te lèves le matin, qu’il fasse soleil ou non, que tu sois en forme ou non, tu t’en fiches, parce que tu ne sais pas ce qui peut t’arriver. Moi je le sais. Je le sais que je dois profiter de chaque petit instant qui passe. De chaque petite chose que je suis capable de faire. »
En moins de deux minutes, la copine aura éjecté à nouveau mes dents de mon dentier. Aura encore décroché ma mâchoire. Et je n’aurai jamais bu un 20 onces de bière aussi rapidement.
Mais jamais une blonde n’aura eu si bon goût.

Le double standard des parents

Lu sur un forum internet : « Thomas a six ans. Il est en première année dans une classe-cycle (1re-2e année). Il est entré en maternelle en sachant lire. Après évaluation par l’orthopédagogue de l’école, on a appris que Thomas est de niveau de 2e année et a même des acquis de 3e. Depuis le début de l’année, il chiale parce que ses devoirs sont trop faciles. Quand il termine ses leçons, il prend des feuilles et ne cesse d’écrire des mots. En fait, c’est son jeu préféré. Hier, il s’est même endormi avec… le Bescherelle!
« Dans un sens, c’est vrai, c’est merveilleux… mais je fais quoi avec ça? Je n’ose pas le stopper, en même temps, il va tellement vite. Peut-il aller trop vite? Je me sens coincée. J’ai peur qu’il finisse par s’ennuyer.
« Je termine en disant que j’ai beaucoup hésité avant d’écrire ce message… On a souvent l’impression que c’est mal vu de se questionner quand on a un enfant qui a de la facilité en classe. Par contre, lorsque l’on parle d’une situation contraire, c’est bien accueilli. On nous inonde de conseils. Mais je pense que mon questionnement concernant mon aîné est tout aussi valable. »
C’est la dernière partie de son message qui m’a touchée. Lorsqu’on a une poulette qui a un déficit d’attention, une hyperactivité, une maladie quelconque, un retard en lecture, une déficience au ballon prisonnier, peu importe, on l’écoute avec intérêt. On cherche des solutions. On donne notre appui aux parents.
Pourquoi faut-il cacher les succès de nos enfants? Pourquoi faut-il taire les 100 % que notre héritier cumule sur son bulletin? Pourquoi est-il mal vu de dire que notre enfant réussit à l’école?
Pis pourquoi a-t-on peur de pousser nos loulous lorsqu’il est question de compétences scolaires? Si Maxim avait démontré un certain talent en patin artistique, on ne l’aurait pas laissée moisir parmi ceux qui excellent moins. Elle aurait gravi les niveaux, se serait entraînée tous les matins avant d’aller à l’école, aurait participé à de nombreuses compétitions, aurait eu des articles à son sujet dans les journaux. On l’aurait poussée au cas où elle serait la prochaine championne olympique.
Pourquoi hésite-t-on à pousser nos enfants qui démontrent un intérêt prononcé pour la grammaire, les formules algébriques ou le système solaire? Pourquoi pense-t-on qu’ils s’ennuieront à l’école s’ils se trouvent en avance sur leurs camarades? N’y a-t-il pas une place pour ces enfants dans nos classes?
Je n’ai pas vraiment de réponses à offrir à cette copine d’internet. Pas de recettes toutes faites pour répondre à ses questions. Mais j’ai surtout envie de lui dire de ne pas être gênée de son fils. D’en être fière. Peut-être a-t-elle un Wayne Gretzky de la dictée entre ses mains. Ou est-ce le futur Bernard Pivot ou encore un Michel Tremblay qu’elle cajole chaque soir. Peu importe comment il gagnera sa vie plus tard, une chose est certaine, c’est son fils et pour aucune raison au monde elle ne doit cacher cette fierté.