07 décembre 2010

Tirer sur les oreilles

Maxim venait à peine d'être poussée à la vie que déjà j'avais hâte que son premier sourire se dessine sur son visage. Quand ce fut une affaire réglée, je n'avais qu'une envie : entendre mon bébé rire aux éclats. Ce jour est arrivé quelque part à l'automne 1998.

Mon excitation devant ses éclats de rire n'a duré que quelques jours. Rapidement, j'ai commencé à penser au jour où ma puce serait capable de s'asseoir seule. Puis à celui où elle lèverait ses petites fesses du sol pour la voir enfin se lancer dans la marche à quatre pattes. Et à deux pattes.

J'avais donc hâte qu'elle ait enfin quatre mois pour lui fourrer une cuillère de céréales dans la bouche. J'avais donc hâte qu'enfin elle passe au stade des purées de carottes et d'abricots. J'avais donc hâte qu'elle avale des ti-mottons. J'avais donc hâte qu'elle mange enfin comme nous des hamburgers fromage-bacon ou du chic tartare de boeuf à la moutarde de Dijon.

Je ne comprenais pas pourquoi elle ne tenait pas encore une conversation avec moi quand elle a soufflé sa première bougie. Qu'elle doive encore porter des Pampers quand on lui a chanté bonne fête pour la deuxième fois. Qu'elle ne sache pas peinturer à la gouache sans en renverser tout partout autour de son carton quand on a célébré son troisième anniversaire. Qu'à ses quatre ans, elle était toujours incapable d'attacher ses souliers seule. Et qu'il arrivait qu'elle oublie des lettres quand elle écrivait son nom de famille quand on a fêté son quinquennat.


J'avais tellement hâte qu'elle soit plus autonome. Qu'elle ne requière plus mon attention 24 heures pas jour. Qu'elle soit capable de respirer sans que je sois dans un périmètre de 15 mètres carré.

Dès que j'avais une chance, je la déposais par terre. Dès que je le pouvais, je l'incitais à jouer seule. Dès que mes tâches obligatoires de maman - allaitement-changements-de-couche-bain - étaient terminées, je la mettais dans sa balançoire, dans son parc, dans sa soucoupe, dans son Jolly Jumper. Partout sauf dans mes bras.

Mon père dit souvent que j'ai tiré sur les oreilles de ma plus vieille pour qu'elle grandisse plus vite. Pas question de l'obstiner là-dessus. Il a totalement raison. J'étais incapable de savourer le moment présent avec mon aînée. De profiter d'elle telle qu'elle était. Je pensais sans cesse à la prochaine étape de son développement psychomoteur prévue dans le Mieux-Vivre 1998.

C'est triste quand on y pense. Comme si je n'étais jamais satisfaite des progrès de ma poulette. Comme si je ne pouvais pas accepter mon enfant telle qu'elle était. Comme si elle n'en faisait jamais assez pour satisfaire la mère hyper exigeante que j'étais.

Ce n'est pas que je n'aimais pas passer du temps avec ma puce. Qu'elle m'emmerdait. Ou que je regrettais d'être devenue mère. Non, non ce n'était pas ça. J'aimais mon bébé plus que tout. Je voulais juste qu'elle soit toujours plus grande. Toujours meilleure.

Pathétique pareil.

Tellement pathétique.

Totalement pathétique.

Pathétique parce que là, la grande cogne aux portes de l'adolescence pis je tuerais pour qu'elle retourne à l'époque où elle gambadait aux quatre coins de mon 4 ½ avec ses petits poings en l'air en criant : «Po-La-La-Po-La-La-Po!». Au temps où elle voulait bien se bercer avec moi en chantant «La nuit court après le jour... Le jour court après la nuit...». Où je me levais quatre fois par nuit pour la mettre au sein. Où mes règles éducationnelles se résumaient à : «Non! Ne touche pas à ça bébé!»

Où j'étais toute sa vie.

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