25 février 2009

L’importance d’une simple traversée de rue

Je me suis toujours demandé si ça m’arrivait, comment je réagirais. Qu’est-ce que ça changerait chez moi. De quelle façon je regarderais la vie suite à un événement traumatisant.
Vous n’avez pas idée du nombre de personnes que j’ai interviewées depuis que je bosse ici, qui ont côtoyé la mort de près, et qui m’ont raconté que plus jamais la vie ne serait pareille pour eux. Qu’à partir de cet instant où ils ont pensé qu’ils finiraient dans une boîte de carton dans un gros fourneau, ils ont complètement changé leur manière de boire leur jus d’orange le matin et de laver leurs draps le soir.
Que c’est avec un sourire éternel qu’ils se rendent au boulot chaque jour. Que les mots colère, déception et tristesse sont rayés de leur vocabulaire pour toujours. Que plus jamais il n’y aurait d’agendas débordants, de facteurs stress, de tensions inutiles.
D’autres disent que les fleurs sentent meilleur. Que les pommes sont beaucoup plus savoureuses. Que le son de la rivière qui coule est plus doux.
Certains larguent tout ce qui est ennuyant dans leur quotidien et partent à l’aventure. Il y a ceux qui s’investissent corps et âme dans le bénévolat ou qui amassent des millions pour telle œuvre.
Mais moi, que dirais-je? Que ferais-je? Comment me sentirais-je?
Depuis qu’Ian est mort, depuis que le père de mes poules s’est niché une place au paradis des papas que je cherche. Qu’est-ce que ce décès pouvait bien avoir changé en moi?
La coriandre sent toujours aussi bon. Mes cupcakes au caramel et à la fleur de sel sont aussi délicieux qu’avant. Et la mélodie du Repère tranquille de Vallières me fait toujours autant vibrer.
Je n’ai pas envie de tout abandonner pour me rendre travailler dans un camp de réfugiés au Rwanda. Je suis encore parfois fâchée. Je vis également du stress. Pis je fous toujours trop de rendez-vous à mon agenda.
Il arrive que je me rende au boulot de reculons. Que la neige qui tombe m’énerve. Que ça ne va pas assez vite au resto.
Je ne m’extasie pas devant le spectacle d’une tulipe qui s’ouvre à la vie. Le vent qui souffle dans mes cheveux m’agace plus qu’autre chose. Et les -30 ne me rendent pas particulièrement heureuse.
Ce n’est que ce matin que j’ai trouvé ce que la mort de Ian avait changé. C’est tout simple. Une toute petite chose. C’est arrivé au coin des rues Ball et Alexandre.
Je venais tout juste de déposer mes poulettes à l’école. J’étais assise dans ma voiture et je les regardais traverser la rue pour se rendre dans la cour de récré. Ça m’a frappé à cet instant.
C’est le regard que je pose sur elles qui est différent. Cette façon que j’ai de prendre le temps de les contempler dans une simple traversée de rue entre deux trottoirs. De sourire devant la délicatesse de Maxim qui prend soin d’attendre sa benjamine avant de se rendre de l’autre côté de la rue. De rire de l’impatience de Félixe alors qu’elle tente d’enjamber le banc de neige tout en essayant de ne pas abimer son violoncelle qu’elle tient d’une main et sa boîte à lunch qu’elle a dans l’autre. Mon cœur fond quand je vois ces deux sourires, ces yeux lumineux, ces joues rosies.
Et chaque matin, je regrette que Ian ne soit pas là pour admirer ce spectacle.
Mes yeux ne voient plus mes filles de la même façon maintenant. À présent, je mesure toute la chance que j’ai de pouvoir regarder mes poulettes traverser la rue tout simplement.

4 commentaires:

Karine a dit...

Ah c'est tellement beau Geneviève ! Je sais que l'on a beaucoup de chance de voir ses enfants grandir et je l'apprécie aussi tous les jours!

Je pense à vous !

Sylvie a dit...

Une chance que j'ai apporté ma trousse à maquillage pour la sortie de ce soir, parce que mon mascara vient d'en manger toute une. Je ne sais pas ce qui ce passe, mais depuis tôt ce matin, je ne fais que lire des messages dans ce sens-là. C'est beau la VIE, au diable les empêcheurs de tourner en rond!Surtout ceux qui n'apprécient rien.
S.

Anonyme a dit...

euhhhh peux tu m'aider a enlever la boule dans ma gorge svp...
:(
xxx
C'est beau je t'm

Unknown a dit...

C'est fou ce qu'Internet peut m'apporter... Surtout en ce qui concerne la communauté de bloggeurs... Encore une fois, ton texte s'est rendu directement dans mon coeur et mon âme. Pour avoir côtoyé la mort de près... (personnellement et par plusieurs personnes de mon entourage) moi aussi je regarde la vie, et surtout mes enfants qui ont à peu près l'âge des tiens, avec un oeil différent. Un oeil conscient du caractère éphémère de la vie.

Tout simplement, merci !