03 juin 2010

Mot du jour : kamikaze

Chaque matin, c'est la même histoire. Maxim n'a pas encore les deux pieds dans l'auto que déjà je l'entends chialer. "Ah maman, change ça de poste. Mets donc de la musique!"

Et chaque matin, je lui répète la même chose: "Non, le matin, ce sont les nouvelles qu'on écoute. Point à la ligne. Si tu n'est pas contente, tu peux marcher pour aller à l'école."J'imagine que les dix kilomètres nous séparant de l'école la convainquent chaque jour de rester à bord et d'endurer "la-radio-plate-que-sa-mère-écoute-chaque-foutu-matin".

Elle chiale ma grande parce qu'elle dit qu'elle aimerait beaucoup mieux entendre Keisha avant de se farcir une autre journée assise à un pupitre. Mais je la soupçonne plus de bougonner pour la forme. Parce qu'une pré-ado qui se vante auprès de sa gang qu'elle aime bien mieux analyser la dernière crise politique en Israël que de se dandiner sur Lady Gaga, ça doit être assez rare...

Pourtant, chaque fois, c'est la même histoire. Elle fait semblant d'être outrée, mais elle écoute ce que les journalistes ont à raconter. Puis, la discussion commence.

"Maman, je n'ai pas bien compris. C'est quoi au juste un kamikaze?"

Ça, c'était tantôt. On venait de rapporter les attentats meurtriers dans le métro en Russie. Pour bien comprendre l'ampleur de la catastrophe, il manquait une définition dans son vocabulaire.

"Un kamikaze, c'est une personne qui se tue pour une cause. C'est comme si toi, parce que tu es fatiguée d'apprendre le violon, tu décidais de te faire exploser dans la classe de musique de l'école. Après, tous les journalistes du monde entier parleraient de toi, de ton acte et toutes les autorités de l'éducation se questionneraient sur la pertinence de donner des cours de violon à des enfants de sixième année."

Moment de silence. Malgré que je pense entendre son petit hamster courir dans son ciboulot.

"Ouin. Mais ce n'est pas un peu stupide? Si je me fais exploser pour qu'on arrête de me donner des cours de violon, je ne serai plus là de toute manière pour voir si on en donne encore ou non. En tout cas, moi, je ne ferai jamais ça."

C'est sûr que je n'avais pas pris le meilleur des exemples. Personne dans l'univers ne se ferait sauter la cervelle sous prétexte qu'il faut absolument cesser d'apprendre ce difficile instrument à cordes à des enfants de 11 ans.

"Alors, tu t'imagines comment ces personnes croient fort en leurs idées? Comment elles sont déterminées à aller au bout des choses et à faire avancer leurs projets? Faut que tu sois vraiment, mais vraiment certain de ce que tu fais pour donner ta vie pour la cause que tu défends, tu ne crois pas?"

Elle était loin d'être convaincue la poulette. "En tout cas, moi, je ne ferai jamais ça", m'a-t-elle répété très fermement.

Sincèrement, je l'espère aussi. La discussion a continué, au fil des lumières rouges pour prendre une autre tangente. "Crois-tu, Max, qu'il y ait d'autres façons de donner sa vie pour une cause que tu défends?"

Elle ne comprenait pas. "Penses-tu que, moi par exemple, je suis un peu une kamikaze?" "Hein? As-tu envie de te tuer, maman?", m'a-t-elle demandé, très inquiète.

"Non, non, ne panique pas! Je dis ça dans le sens que tous les jours, je te donne ma vie. Tu sais, si tu n'étais pas là, je ne penserai à personne d'autre qu'à mon petit nombril. Parce que chaque jour, une grande partie de ma vie t'est destinée, t'est offerte. Je te prépare ton déjeuner, je t'aide à te peigner les cheveux, je te donne un coup de pouce avec tes devoirs, je m'assure que tu aies une bonne nuit pour que tu réussisses bien à l'école. Je te chicane quand tu fais une niaiserie. Tout ça en lavant tes bobettes, en te planifiant un bon lunch pour demain, en m'assurant que tu sois bien propre et que tu t'éveilles au monde qui t'entoure. Vraiment, ma vie serait plus simple si tu n'y étais pas. Qu'en penses-tu? Suis-je une kamikaze?"

Je n'ai pas pu entendre sa réponse. La cloche a sonné comme nous venions d'arriver dans la cour d"école. Mais notre petite route quotidienne côte à côte aura été tout de même profitable. Elle aura enrichi son vocabulaire et peut-être aura-t-elle réalisé un tout petit peu ce qu'une mère doit faire pour son rejeton.

Mais peu importe, je sais que trop bien que demain, elle me redemandera de tourner la radio jusqu'à ce qu'elle entende les Black Eyed Peas.

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