27 janvier 2010

La leçon de Dominick

Quand mes parents sont déménagés dans le nord de la ville et que je suis arrivée dans cette nouvelle école, j'ai fait une grande découverte.

Faut dire que du haut de mes huit ans, je ne connaissais pas grand-chose du monde qui m'entourait. Mes intérêts se limitaient pas mal à Traboulidon, à tout ce qui pouvait être fluo et au nouveau catalogue du Distribution aux consommateurs que j'attendais avec impatience pour y dresser ma liste de cadeaux de Noël.

Alors, à mon premier jour dans cette école, mon nouveau professeur Aline m'avait assigné le pupitre à côté de Dominick. Tout juste dans la première rangée. À deux pieds du tableau! Sur le coup, j'ai été un brin insultée : «Est-ce que mon ancienne prof de mon autre école lui avait dit que je placotais beaucoup en classe? Moi qui espérais laisser cette fausse réputation dans l'autre école...» 

Mon indignation d'être assise aux premières loges a rapidement cédé sa place à ma curiosité face à Dominick. C'est que c'était la première fois que je voyais une noire en vrai de vrai. Je connaissais Mickael Jackson et je trippais sur les Cosby à la télé, mais jamais j'en avais vu une de si près.

Il fallait que je me retienne à deux mains pour ne pas toucher ses cheveux crépus. Je n'ai pas osé lui demander de me laisser y mettre mes doigts pour toucher leur texture. Par contre, subtilement, je l'ai analysé de la tête aux pieds : elle sentait bon, je comprenais ce qu'elle disait quand elle parlait et en plus, elle avait de superbes bas roses fluos.

Au fil des jours où on a appris nos tables de multiplications jusqu'à 12, j'ai découvert qu'elle était meilleure que moi en français, mais que je la battais au ballon prisonnier. Elle est discrète, mais on s'amusait bien ensemble. Tout comme j'avais du plaisir avec Nadine ou avec Stéphanie.

Quand elle me parlait de son pays, elle me faisait rêver. Sa maman était allée la chercher en Haïti, un pays très pauvre. Je l'imaginais toute nue, le bedon vide, le regard triste. J'applaudissais sa nouvelle famille de l'avoir «sauvée» du pétrin.

Pourtant, jamais Dominick ne m'a parlé d'Haïti comme d'un pays sans avenir. Qu'il fallait fuir. Au contraire. Elle disait que c'était merveilleux, que les gens étaient gentils et toujours prêts à aider.

Mais dans ma petite tête, c'était difficile à comprendre toutes ces notions. Pourquoi n'était-elle pas restée là-bas alors, qu'ici, il fait -30 et que nous sommes obligés de mettre nos passe-montagnes?

Bref, côtoyer Dominick m'aura appris que la différence ne fait pas mal. Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi des gens disaient que les noirs n'étaient pas travaillants (ils auraient changé d'idée à voir mon amie bosser et bosser sur la conjugaison du verbe être au passé composé qui nous donnait tant de mal). Ça ne me rentrait pas dans la tête qu'il y avait des personnes qui croyaient que les noirs étaient moins intelligents (en tout cas, si c'était le cas, j'étais cancre en sale à côté d'elle!). Pour moi, Dominick était une amie comme une autre. Et puis, j'en suis venue à me foutre complètement du fait qu'elle ne bronzait pas pendant l'été.

J'avais à peu près oublié mon amie du primaire jusqu'à ce que la terre décide de tout foutre par terre en Haïti. En voyant les gens s'entraider, être optimiste face au futur, je me suis rappelé les paroles de Dominick sur son peuple.

Du haut de ses huit ans, elle m'aura appris qu'il ne faut pas juger. Qu'on a tout à gagner à savourer la différence.

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